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Dans une ville lumineuse ( Histoire d'Avent)...

Dans une ville lumineuse, un cochon allait debout. Il était nourri de leurres, de pain d'épices acajou. Vide de projets, de salades, il rêvait d'un smoking gris, d'une chemise en fer blanc rimant à son teint malade: rose dehors, argent dedans... Il ne voulait pas qu'on fende son dos d'une fente à sous, ni finir en tirelire dans une vitrine de bon goût. Il voulait danser un soir dans une histoire de saucisses sur canapé de spaetzlés ou de chou cuit mariné. Il voulait qu'une crème anglaise orne sa queue tire-bouchon puis sauter d'une falaise dans un golfe bleu profond. il savait que dans les calanques où les hippocampes jouent avec la crème des poissons, il y a place pour les pirates autant que pour les cochons qui se dilatent la rate en vue de deux réveillons. Ils seront mangés sans doute mais dans longtemps, si longtemps. En attendant, ils fredonnent plusieurs mélodies d'Avent. Ils font même des prières pour rencontrer l'âme soeur tant qu'ils sont vivants sur terre, tant que bat leur petit coeur.

Quand ils seront mariés, ils construiront une maison au milieu d'une pelouse, ils achèteront un tracteur avec télé intérieure spéciale pour agriculteurs obligés de rester aux champs même le soleil couché, quand le ciel est si bouché que les récoltes sont en danger. Tous les dessins animés de la terre seront leurs hôtes pendant leurs allers-retours. Tous les enfants des voisins monteront les visionner. Et lorsque viendra le jour d'avoir leurs propres lardons dans ce quartier enchanté, ils les feront engraisser aux extraits de canneberge et aux amandes grillées. Les faons en mangent aussi sur les bords des marécages où ils fondent comme des sucres avant de se transformer en cerfs, en biches, en poèmes, en images pour parchemins illustrés. Ainsi se préparent-ils à affronter l'appétit des prédateurs culinaires qui sont parfois leurs parents. Ainsi deviennent-ils conscients de l'affreuse cruauté fondant le calendrier de la Vie Alimentaire: celle qui l'hiver dans Strasbourg engorge les grandes artères. Lumières à tout crin dehors, gluhwein et cannelle dedans.

A quoi pense un porcelet qui aurait la vie devant soi si les gens étaient moins goinfres, s'ils vivaient sous d'autres lois? Etudie-t-il l'historique des porcs mangés avant lui sauf bien sûr dans le Coran et dans les récits bibliques? Rêve-t-il de se rouler dans des algues amincissantes plutôt que sur le fumier aux senteurs dites enivrantes qui parfumeront sa viande une fois qu'on l'aura tranché, mis en cubes ou émincé?

Un petit porc a-t-il une âme? Pense-t-il à des vitraux quand son ventre conciliabule à l'unisson des oiseaux?

Dans une ville lumineuse, un cochon allait debout. Les commerçants admiraient son maintien, son optimisme, son désir de s'intégrer dans la bonne société, sa foi dans une religion dont les hommes se détournent chaque fois que le vent tourne mais où ils reviennent pointer, émarger et même crécher, tels des veaux au râtelier.

Extrait de " Marché de Noël", décembre 2008.

Dans une ville lumineuse ( Histoire d'Avent)...
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