Dans Collioure colorée par ses tuyaux en façade, chaque maison est un rectangle étiré vers le soleil. Vu de biais, l'ensemble bouge pareil à l'accordéon de mille canalisations violine, vertes, jaunes, rouges... Des gens vivaient-ils ici? Un manège en train de tourner pour deux grand-mères et un enfant ( sans père) le laissait croire. Mais pas le linge aux fenêtres...Comme il n'y en avait pas, on se sentait plus près de Tours que de Paris, de la Toscane, de Munich ou de l'Ombrie sans même penser à Naples...
Les rues donnaient sur des grottes dont la chaux dialoguait avec la forme des lampes, avec des meubles en carton variés comme positions, chromatismes et fonctions. Des sirènes ripolinées: robes noires, colliers dorés manageaient les tiroirs-caisses, l'allèchement égaré des touristes-clients piégés par leur propre curiosité, l'affolement des étourdis dont les cartes bancaires s'avalent ou appellent le cartouche du paiement refusé. D'autres grottes étaient peuplées par des artistes patentés au comportement plus proche des moeurs de conférencières que de simples épicières.
Le premier de ces Dauphins ( Atys, Tirésias, Orphée?) riait en nous expliquant que son art se situait dans la lignée du fauvisme. Lequel s'origine ici, sur ces rivages déchirés tamponnés et bouchonnés par de violentes couleurs. Le deuxième descendit l'escalier de sa demeure suite à nos vingt minutes d'angoisse à attendre que ça bouge dans le hall de son expo, à regarder les tableaux dos droit contre les hublots de son paquebot artistique, rafiot d'un luxe inouï du moins pour nous: Béotiens n'osant entrer ni sortir de peur d'être accusés de vol suite à notre pénétration dans ce que nous avions pris pour une échoppe ' Entrée Libre'. 'Mon père était Chypriote' commença-t-il sans ambages. ' Ma peinture est orientale car j'ai vécu mon enfance dans le centre de Tunis.' En effet, de petits cubes insérés dans des carrés, bleutés sur masse orangée piquée de virgules dorées caractérisaient sa technique plébiscitée depuis trois ans dans les stations balnéaires de toute la Croatie... Le troisième dessinateur avait une spécialité portant un beau nom : SANGUINE. ' La sanguine ne pardonne pas. On ne peut pas user de la gomme. Il faut un solide métier pour risquer sa spontanéité.' De petits patchs usagés - sortes de pastels élimés - réduits à l'état rougeâtre s'exposaient dans une coupe aux côtés des pinceaux, couleurs, ciseaux, instruments montrés comme les éléments d'un désir muséographique. Il avait illustré des livres et peint de nombreuses toiles: des liserons beige glacé à la mollesse de bouche sur branches minéralisées. Ses draperies, ses courtines, ses rideaux de gaze plombée ondulaient sur rinceaux d'église et rosaces d'abbayes dans le style Westminster. ' Mon fantastique' dit cet artiste effectivement célébré par une critique comme éminent praticien de la fantasmagorie ' c'est la juxtaposition du minéral, du liquide modelé par le végétal.'
Le quatrième de ces Maîtres à la portée du public devait être un érudit. Courbé sur la table-travail qui lui faisait compulser une encyclopédie de droit sinon un polar de plus à côté de son tiroir-caisse, il leva à peine les yeux lorsque j'ai voulu payer le tourniquet bleu en bois jouant en boucle ' Frère Jacques' que je venais de choisir sur ses rayonnages à jouets. Mais ça suffisait pour voir son regard de jeune homme brouillé par des nuits sans veille à se laisser manipuler par l'écriture d'autrui comme si c'était la sienne, froid, lourd: une eau sans clarté dans une face de fleur noyée. Alors le rêve s'est achevé sur la mélodie planante du chanteur grand-père Lluis Llach interprétant ' Maremar'.
Extrait de " Arbres et mots", 2009.
Artistes d'hiver I
Artistes d'hiver II
Artsites d'hiver III